20 et 21 octobre 2018
Dossier
S Y N O D I E S 20 16 27
Jeanne Ayache
En tant que chercheur au CNRS, microscopiste en physique, science des
matériaux, et maintenant en biologie,
je me suis intéressée, depuis le début de ma carrière, à l’étude de la structure de la matière dans tous
ses états.
J’ai d’abord étudié la matière cristalline, matière solide qui à un état donné ne bouge pas et qui
a des propriétés particulières. Au fur et à mesure du temps j’ai étudié différents matériaux,
depuis les matériaux cristallins bien ordonnés comme les minéraux, les céramiques, jusqu’à la
matière mal organisée comme la matière organique et les matériaux carbonés
(fibres de carbone, composites...), ou la matière organique amorphe (sans ordre) comme les polymères,
avant d’arriver enfin au vivant.
La surprise du vivant c’est qu’il contient tous les états possibles de la matière que l’on
rencontre dans le solide, et présente en plus une
dynamique constante. C’est-à-dire que l’on passe de l’ordre au désordre, au chaos, pour retrouver un autre ordre supérieur et tout cela, au service
de la vie. J’ai ainsi étudié par microscopie électronique la structure de la matière dans tous ses états. J’ai exploré ce monde de
l’infiniment petit à l’échelle atomique dans les matériaux et au niveau moléculaire dans le vivant. Avec la microscopie, je me suis approchée de la
beauté
du monde de l’infiniment petit, là où l’infiniment petit et l’infiniment La science comme
chemin
spirituel, l’intelligence au coeur de la matière Du minéral à la complexité du
vivant
grand se rejoignent, ce qui me renvoie à l’analogie avec le microcosme et le macrocosme des traditions
! La microscopie a bouleversé ma vie et ma vision du monde
! Le cœur de la matière est
un monde incroyable, fait de particules, d’atomes, d’amas d’atomes, de molécules
organisées ou non, associées entre elles dans tous les états possibles pour former des structures
fabuleuses de beauté… et là, j’ai appris à décrypter chaque parcelle de ce que j’observais;
et c’est ainsi qu’a commencé mon voyage initiatique. En observant la matière au
microscope,
j’ai pratiqué sans le savoir, la méditation de pleine conscience, dans un état de samadhi où
l’observateur devient l’objet d’observation, et où les objets se dévoilent dans leur véritable
nature. La
leçon des défauts de la matière . Dans le sens commun de la société, les défauts sont pris de façon négative et en opposition aux qualités
d’un objet ou d’une personne.
Dans le monde de la structure de la matière solide, ce n’est pas le cas. Le La surprise du vivant
c’est qu’il contient tous les états possibles de la matière que l’on
rencontre dans le solide, et présente en plus une
dynamique constante. C’est-à-dire que l’on passe de l’ordre
au désordre, au chaos, pour retrouver un autre ordre supérieur et tout cela, au service de la vie.
monde de l’organisation cristalline est proche de la perfection au niveau de
l’ordre : tous les atomes sont alignés dans les trois directions de l’espace depuis l’échelle atomique à
l’échelle macroscopique. Un défaut est considéré comme un écart de la structure
parfaite, une rupture de la continuité cristalline qui peut être locale ou étendue dans tout le cristal.
Chaque défaut provoquera une rupture par rapport à la structure parfaite. Ainsi, ces défauts de structure vont donner des propriétés tout à fait particulières que
l’on voudra reproduire. Les défauts cristallins sont au coeur des propriétés intelligentes de la science des matériaux. On regarde et analyse les matériaux
sous tous les angles et toutes les coutures !
Je suis ainsi devenue une experte dans l’étude des défauts des supraconducteurs !
Le miroir de la vie professionnelle sur ma
propre vie. Au cours de cette période j’ai été
confrontée à des problèmes importants de santé, la polyarthrite rhumatoïde comme disent les
médecins. Ils m’ont fait déguster des moments difficiles mais riches d’enseignements !
On peut dire cela quand la tempête ●●● 28 S Y N O D I E S 20 16 est passée. Cette période a duré environ dix ans avant que je ne réalise que « Rien ne se perd, rien ne se
crée,
tout se transforme », comme l’a dit le chimiste Lavoisier. C’est quand j’ai compris cela
que
tout a commencé à changer. C’est en étudiant les défauts cristallins dans les supraconducteurs et
leur rôle fondamental sur les propriétés des matériaux que j’ai fait l’analogie avec
le vivant. L’étude des défauts dans les matériaux m’a renvoyée tout naturellement
à mes propres défauts, bien sûr. Je me suis ainsi occupée de mes défauts et plus précisément de
mes problèmes de santé, comme de mes supraconducteurs, par tous les bouts !
Je suis devenue un objet d’observation. Je me suis étudiée comme on le fait en science, en combinant les
différentes méthodes d’analyse et d’observation pour avoir une meilleure
perception de l’état des lieux, de moi
même, pour mieux comprendre ce qui m’arrivait !
Plus j’étudiais les matériaux, leurs défauts et les propriétés qui en découlaient et plus je me posais
la question de ce type d’étude sur le vivant et sur moi-même. Je me suis mise à étudier
les lois du comportement humain en utilisant toutes les méthodes possibles de décryptage du
comportement finissant par « gie », comme la
caractérologie, la numérologie, la graphologie,
l’astrologie, et aussi la programmation neurolinguistique, l’ennéagramme et
j’en passe !
La question récurrente pour moi était : Quelle est la transposition possible de la relation « structure
de la matière solide et son comportement », à celle de la « structure de la matière vivante et le comportement humain(1) », en l’occurrence le mien ? Ce
n’est pas rien comme question ! Ce type de recherche ne se fait pas dans un laboratoire, mais pendant toute une vie !
Le cadeau des synchronicités Ma reconversion en biologie
était quelque chose que je ne pouvais pas remettre en question ; une intuition profonde était que je devais suivre cette voie. Il faut dire que
changer de domaine me faisait changer complètement mes repères, ceux des lois
de la physique classique auxquelles je m’étais confrontée, en passant de la nature ordonnée de la
matière cristalline à la notion d’ordre-désordre
chaos, en constante dynamique dans
le domaine du vivant.
Il a fallu m’approprier un nouveau langage, de nouveaux repères liés à la nature du vivant. J’ai dû
mettre de coté tout ce que je connaissais. Oublier et recommencer à apprendre !
Cela fut une vraie initiation au vivant en moi, découvrir d’autres espaces jamais explorés. Moi qui aime
comprendre et apprendre, j’étais servie !
Je vivais en parallèle ma vie personnelle en écho avec ma vie professionnelle.
C’est en écrivant un livre interdisciplinaire de la physique à la biologie que j’ai démarré mon
initiation au monde du vivant. Dans ce livre, je voulais réunir toutes les connaissances de plusieurs communautés (physique, chimie, minéralogie, métallurgie
et biologie) autour de la microscopie. Ce que je retire de cette expérience, c’est ce que j’ai appris sur la nature de
la matière : « La matière existe dans tous les états sans discontinuité depuis la matière solide stable
comme les minéraux, les métaux, les polymères, les semi-conducteurs, les céramiques,
les composites, jusqu’à la matière
vivante qui baigne dans un liquide, qui va lui conférer des propriétés particulières( 2) ». ® Raphaël Lasne la conscience d ans tous ses états
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Dans le vivant les « propriétés physiques » correspondent aux « fonctions biologiques
».
La traversée du chaos En résonance avec ce que je vivais dans ma reconversion en
biologie,
dans cette période, ma vie affective me plongea dans un chaos qui me poussa à retourner chez un Psy
pour faire une psychanalyse. J’avais fait une psychothérapie vingt ans plus tôt pour
comprendre mes comportements suite à des problèmes importants de somatisation. Ceci était résolu et
mes problèmes de santé avaient disparu.
Mais cette fois, toutes les techniques d’évolution personnelle que je suivais ne suffisaient pas pour
comprendre ce que je vivais intimement. Je n’avais pas encore cassé certaines de
mes cuirasses de protection ! Il fallait aller plus profond en moi, comme pour comprendre les
mécanismes intimes de survie qui m’avaient amenée à qui j’étais. Je vivais en même temps
le début d’un nouveau cycle professionnel et personnel, une synchronicité créatrice incroyable
pour rentrer dans une nouvelle étape de ma vie ! Dans cette période de chaos, j’ai découvert en même temps une approche originale, voire paradoxale
de l’exploration des effets de l’engrenage
biologique sur les comportements dans notre vie. En les vivant dans mon corps j’ai pu ouvrir les yeux
sur le sens du chaos que je vivais en moi et cela m’a permis de le traverser en
conscience. Les leçons de la cellule comme modèle pour la
vie Ce qui bouleversa ma vision de la
vie, c’est ce que j’appris sur le fonctionnement du vivant. Nous sommes faits de milliards de cellules.
Une cellule n’existe pas toute seule, mais existe dans une société de cellules.
Chacune appartenant à un organe ou système vital comme les poumons, le cœur, les reins, le foie, le pancréas, le cerveau, le système
nerveux ou le système sanguin. Chacune des cellules
a un rôle spécifique au sein de notre corps pour le maintenir en vie et en parfaite
santé/intégrité.
Dans le programme du vivant coexistent celui de la vie et celui de la mort dans une dualité
intrinsèque. Que l’un manque au niveau d’une cellule, et c’est le corps tout entier qui
en subit les conséquences. Après des stress divers et variés subis par elle, chaque cellule
retourne toujours à son état d’équilibre et de bien être, qui respecte l’intégrité de
toutes ses fonctions cellulaires. En dehors de cet état, le vivant a mis en place des stratégies de
survie, des mécanismes de réparation et de préservation de son intégrité. A
chaque instant la cellule vérifie l’intégrité de son matériel
moléculaire pour assurer les fonctions vitales,
dans la cellule et pour assurer la vie de la société des cellules. La cellule a deux cerveaux, le
premier étant le noyau contenant l’ADN garant du plan d’organisation du programme
de notre espèce ; et le second la membrane cellulaire, qui est à la base de la communication
cellulaire. Une cellule saine communique avec elle-même et avec son environnement. Dans le
cas contraire, sans signal, elle part en mort cellulaire. Cette conscience cellulaire est à
la
base des mécanismes du maintien de la vie dans l’évolution. Ainsi, avant chaque division cellulaire,
la cellule procède à différents « check up » à plusieurs niveaux lors des étapes de
réplication, réparation et recombinaison de l’ADN fabriqué pour faire deux cellules filles, à
partir d’une cellule mère. La conscience cellulaire
intègre toutes ces fonctions pour le meilleur de nous-même et de l’environnement. Le destin des cellules n’est pas déterminé car chaque instant est
différent ! Le destin est donc la réponse la plus adaptée à un moment donné, pour la survie de l’espèce. Au regard de ce qui se passe dans une
cellule, la conscience est présente à tous les
niveaux depuis le niveau moléculaire, le niveau cellulaire, puis à l’échelle de l’individu. Cette
conscience cellulaire va engendrer des réponses
spécifiques qui vont conduire au maintien de la
vie ou à la mort cellulaire programmée (apoptose). Ce qui est extraordinaire et
frappant
quand on aborde ce qui se passe dans la vie d’une cellule, c’est la notion de dynamique constante
ordre/ désordre/chaos au service du maintien de la vie de la cellule. La vie est interaction constante. À chaque instant, la vie de la cellule est sur le fil
du rasoir à travers tous les stimuli qu’elle reçoit. Le repos n’existe pas, si c’est le cas c’est la mort du système.
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